L’eau à Baelo Claudia. Rapport 2019
Les objectifs
La campagne de 2019 s’est déclinée en deux opérations : des prospections pédestres au printemps et l’ouverture de sondages dans la ville haute à l’automne. Ces travaux font suite à des campagnes de prospections pédestres réalisées en 2013 et 2014 ainsi qu’aux fouilles portant sur différents points-clés du réseau d’adduction d’eau de la ville romaine de Baelo Claudia tels que : un puits de rupture de pente et une piscina limaria (bassin de décantation) sur l’aqueduc septentrional en 2015-2016 et le franchissement du rempart de l’aqueduc oriental associé à un probable bassin de décantation en 2017-2018. Ces opérations ont mis en évidence l’importance du réseau d’alimentation en eau, l’originalité de certains aménagements et leur bon état de conservation. La ville romaine était approvisionnée en eau par trois aqueducs : celui de Molino de Sierra Plata à l’ouest, celui de Realillo au nord et celui de Punta Paloma à l’est (Borau 2013, 2014, 2015, 2016, 2017, 2018). Depuis 2017, ces recherches sont intégrées à un « Proyecto General de Investigación » (PGI) d’une durée de 6 ans, accordé par la Junta de Andalucía.
Les prospections commencées en 2018 et poursuivies en 2019 correspondent à l’année 2 du PGI et les fouilles à l’année 3. Elles avaient pour objectifs :
- La reconnaissance du tracé de trois voire quatre aqueducs, associée à des relevés topographiques et photogrammétriques
- La réalisation de sondages à l’amont et à l’aval du château d’eau septentrional (aqueduc de Realillo)
Les deux campagnes se sont respectivement déroulées durant 10 jours et 15 jours en raison du calendrier des autorisations. Malgré des durées limitées, elles ont fourni de nouveaux résultats qui confirment l’importance de cette thématique au sein du site et l’intérêt d’explorer à la fois des tronçons extra-urbains mais aussi dans la ville, notamment le quartier nord. En complément, un atelier international d’archéologie romaine s’est également déroulé au printemps et avait pour objectif de proposer une formation théorique en laboratoire et de pratique de terrain à des étudiants de Master français et espagnols par la découverte d’un site antique en Espagne, en faisant intervenir différents professionnels (archéomètres, topographe, post-doctorant spécialiste de datation, céramologue, ingénieurs, archéologues espagnols et français).
Les résultats
Identification de nouveaux tronçons d’aqueducs extra-muros
Si quelques tronçons de canalisations, sous forme de blocs monolithes taillés, ont déjà été observés près de la source de l’aqueduc de Molino de Sierra de la Plata, cette année nous nous sommes concentrés sur une partie du canal en béton coffré identifié en contrebas sur un promontoire. Les dimensions du canal ne dépassent pas 0,33 m de largeur et 0,26 m de hauteur. Ce modeste conduit a été reconnu à proximité d’une structure aujourd’hui partiellement effondrée et dont il ne subsiste que la voûte reposant sur le sol. Cette structure mesure 2,64 m de longueur pour une largeur restituée de 1,20 m soit une emprise au sol de 3,10 m². Il s’agit soit d’un bassin de décantation disposé sur le tracé de l’aqueduc, soit d’un réservoir peut-être lié aux quelques traces d’habitat visibles à proximité. Cette découverte et l’étude topographique font apparaître qu’un tracé du conduit plus au sud formant une boucle pour gagner la ville par l’ouest paraît assez difficile à envisager du fait de la forte pente dans ce secteur. En outre, aucun vestige n’apparaît au-delà, ni en contrebas de ce bassin/réservoir. Il faut peut-être penser que ce tronçon du conduit n’est qu’une dérivation à partir du canal principal destiné à approvisionner l’habitation en eau. Le canal principal pourrait alors suivre un autre parcours jusqu’à la ville, parcours qui reste à déterminer pour rejoindre le tronçon identifié près du rempart et dont nous avons mis en évidence plusieurs structures éparses. En effet, le canal fragmenté a glissé dans la pente. Cependant, il nous donne une indication sur la direction à suivre jusqu’à la ville. En outre, le lien entre ces derniers vestiges et les thermes de la ville doit également être clarifié lors des prochaines campagnes de fouille.
L’aqueduc de Realillo n’a pas fait l’objet de prospections cette année, faute de temps. En revanche, un possible quatrième aqueduc a été reconnu à l’ouest de la ville. Dans un secteur relativement peu exploré, un alignement de structures avait déjà été reconnu par D. Bernal Casasola (Bernal et al. 2016, p. 44-47). Cette année nous avons inventorié 31 blocs, de 0,50-0,80 m de côté pour une hauteur moyenne de 0,40 m. Le relevé topographique démontre que l’ensemble s’oriente bien vers les thermes maritimes, sans que nous puissions établir un véritable lien archéologique entre ces deux secteurs

Nos recherches se sont largement concentrées sur le nettoyage et le relevé d’un nouveau pont de l’aqueduc de Punta Paloma, appelé pont du Conejo. Seules quelques piles avaient été reconnues jusqu’à présent. Depuis un relevé architectural de A. Jiménez en 1973, le pont était totalement masqué par la végétation. Nous avons ainsi pu relever 12 piles ainsi qu’un nouveau puits de rupture de pente disposé à l’aval du pont lorsque le canal forme un coude avant de reprendre un parcours souterrain. Or, nous avions déjà identifié un puits de ce type en amont des ponts de Churriana et de Chorrera. Ces structures servent ainsi de connecteurs en assurant la liaison entre la partie aérienne et souterraine du conduit mais également l’angle droit que forme de manière quasi systématique le conduit avec les ponts-aqueducs. L’intégralité de ce pont a été relevé au GPS différentiel et en photogrammétrie, tout comme un tronçon du canal de 20 m de longueur près de la source, le pont de l’Alpariate ainsi que le pont de Chorrera (relevé au sol et par drone).
Dans la ville, le même travail a été effectué sur les thermes et la fontaine monumentale. Des relevés de quelques égouts autour du centre monumental ont également été réalisés. C’est donc une importante documentation topographique et graphique qui a été acquise cette année. Ce travail effectué par le Pôle Humanités numériques du laboratoire Ausonius permet de proposer des restitutions en 3 dimensions à petite échelle et in fine, à l’échelle du site pour restituer le fonctionnement du réseau d’eau dans son ensemble.
Un travail pluridisciplinaire
Ce projet de recherche a également pour ambition de tester et de combiner de nouvelles approches en collectant un maximum de données sous différentes formes. Ainsi, plusieurs spécialistes enrichissent la connaissance de l’environnement des structures hydrauliques. Les géomorphologues (équipe de Klaus Reicherter, Université d’Aix-la-Chapelle) analysent les fissures visibles sur les aqueducs liées aux problèmes sismiques. Par ailleurs, plusieurs prélèvements ont été réalisés à proximité ou dans les niveaux de comblement des conduits témoignant de « pollutions » contemporaines à l’abandon : zone de rejet de poissons (étude B. Ephrem, Ausonius) ou présence d’œufs de parasites (ascaridés) par exemple (étude de K. Roche, Ausonius). En complément, nous avons fait appel à une archéomètre qui va employer une nouvelle méthodologie de datation par luminescence optiquement stimulée (OSL) des mortiers des maçonneries. Parallèlement, nous poursuivons l’étude traditionnelle du mobilier archéologique issu des campagnes 2017 et 2018. Nous avons également commencé la reprise de l’étude du mobilier du château d’eau, fouillé dans les années 2000 et dont le rapport est manquant. Cette ancienne opération avait pourtant livré une trentaine de caisses de mobilier conservée dans les réserves du Conjunto Arqueológico de Baelo Claudia, c’est pourquoi nous souhaitons les traiter en totalité.
Adduction et distribution d’eau du château d’eau septentrional

À l’automne 2019, la fouille a porté sur la partie amont et avale du château d’eau. L’objectif était d’identifier l’arrivée de l’aqueduc dans ce vaste réservoir de près de 30 m de longueur et 5 m de profondeur. Nous avons également nettoyé la totalité de la structure à la main afin de faire apparaître les contreforts et de pouvoir réaliser une photogrammétrie complète du château d’eau. De manière inattendue, un habitat tardif composé de quatre pièces a été mis en évidence : il vient couper l’aqueduc qui est alors abandonné, tout comme le château d’eau qui sert alors probablement de dépotoir. Le long du canal de l’aqueduc, un niveau de travail correspondant très certainement à une aire de préparation du mortier de tuileau a été mise en évidence. Elle sera plus largement fouillée en 2020.
Le sondage sud va une nouvelle fois nécessiter l’utilisation d’une pelle mécanique car les sondages des années 2000 (dont le rapport de fouille est manquant) que nous avons redécouverts ont été comblés par de gros blocs et du sable. Cela permettra de dégager les canalisations de distribution d’eau dans la ville.
Atelier international d’archéologie
L’objectif de cette deuxième édition de l’atelier était de proposer une formation à la fois théorique et de pratique de terrain à des étudiants français et espagnols de Master 1 et 2, par la découverte d’un site archéologique antique en Espagne : la ville de Baelo Claudia. La qualité des vestiges archéologiques permet une pratique de terrain dans de bonnes conditions, qui vise à la fois à utiliser de nouveaux outils méthodologiques et à favoriser l’interdisciplinarité. L’atelier s’est déroulé durant 10 jours. Le matin était consacré au travail de terrain qui s’est porté sur trois aqueducs : celui de Punta Paloma avec l’étude du bâti des ponts-aqueducs du Conejo, de l’Alpariate et de Chorrera ; l’aqueduc du Molino avec l’étude du canal près du rempart : et enfin, l’étude de l’hypothétique quatrième aqueduc. L’objectif était ainsi de se familiariser avec la collecte d’informations de différentes natures (enregistrement des données, identification des matériaux employés, localisation de prélèvements à réaliser à l’avenir), mais aussi d’effectuer des relevés topographiques avec différents instruments couplés à des relevés photogrammétriques. Ce travail a été complété chaque après-midi par des cours théoriques et des analyses en laboratoire avec différents spécialistes : Rémy Chapoulie, directeur de l’IRAMAT-CRP2A sur la géophysique et l’archéométrie ; Clément Coutelier et Florent Comte, ingénieurs experts du Pôle Humanités Numériques du LaScArBx ; Marielle Bernier, responsable du service de mobilier archéologique du LaScArBx. Les étudiants ont ainsi effectué différentes activités : traitement des données collectées (mise au net des relevés, exploitation des données topographiques et photogrammétriques avec divers logiciels, analyse de matériaux) et études de mobilier archéologique (céramique, métal, faune…). Ils ont également assisté à des conférences directement sur le site : sur la ville romaine de Baelo Claudia, sur l’hydraulique de la ville et enfin sur la question des salaisons de poissons dans le monde romain, réalisées par différents archéologues (Iván García Jiménez, María Luisa Millán Salgado du Conjunto arqueológico, Brice Ephrem d’Ausonius). En outre, les étudiants ont pu travailler dans le centre archéologique de Baelo Claudia qui dispose d’un atelier de restauration, d’un musée, d’un centre de documentation et de salles de travail.
Bilan et perspectives
Les deux opérations de terrain de 2019 ont largement enrichi la connaissance du réseau hydraulique extra-muros et urbain. Grâce à une collaboration avec différents spécialistes, ce sont à la fois les structures hydrauliques qui sont documentées mais également leur environnement immédiat. En outre, ces recherches apportent des données sur l’occupation de la ville durant l’Antiquité tardive puisque l’on constate que le quartier nord renferme lui aussi des témoins d’un probable habitat venant s’appuyer sur le château d’eau abandonné.
En 2020, la fouille de ce secteur sera poursuivie ainsi que l’étude du mobilier du château d’eau provenant des fouilles anciennes. Une campagne de prospection sera effectuée sur les quatre aqueducs. Enfin, un projet de valorisation sous forme de micro-reportages sera réalisé lors de la prochaine campagne de fouille en collaboration avec le département audiovisuel et cinéma de l’Université Bordeaux Montaigne.
Bibliographie
Bernal-Casasola, Darío, Expósito Álvarez, José Ángel, Díaz Rodríguez, José J., Marlasca Martín, Ricardo. (2017): “Investigaciones interdisciplinares en los saladeros orientales de Baelo Claudia. Singulares hallazgos en los Conjuntos Industriales XI y XII (campaña de 2015)”. Mélanges de la Casa de Velázquez 47-1, p. 151-166.
Borau L. 2013 : Agua y acueductos romanos a Baelo Claudia (Tarifa, Cádiz), Actividad Arqueológica de Prospección, Informe preliminar, Dirección General de Bienes Culturales, Consejería de Cultura, Junta de Andalucía, 61 p.
Borau L. 2015a : « Difusión de modelos romanos: particularidades técnicas del sistema de abastecimiento de agua a Baelo Claudia », Archivo Español de Arqueología, 88, p. 149-169.
Borau L. 2015b: Réflexions autour de la construction des puits de rupture de pente des aqueducs : mise en perspective des résultats obtenus à Autun (Augustodunum) », in : Borau L. Borlenghi A. (éd.) 2015, Aquae ductus. Actualité de la recherche en France et en Espagne, Actes ducolloque international, 15-16 février 2013 à Toulouse, Suppl. Aquitania 33, p. 49-68.
Borau L., Trémeaud C., Bière Y. 2016 : Sondeos arqueológicos: estudio de las redes hidráulicas romanas de Baelo Claudia (Tarifa, Cádiz). Pozos de resalto y canales » Actividad Arqueológica puntual, Informe preliminar, Dirección General de Bienes Culturales, Consejería de Cultura, Junta de Andalucía, 56 p.
Borau L. 2017: « Aqueduc de Punta Paloma (pont de Chorrera), depuis 2014 », in Blánquez Pérez J., Callegarin L., Roldán Gómez L., Muñoz Vicente A., Polak G., Baelo. 100 años de arqueología, 100 imágenes para la memoria, Madrid, Casa de Velázquez, p. 266-267.
Borau L., Trémeaud C., Bernier M., Coutelier C., Comte F. 2018 : Sondeos arqueológicos: Acueducto de Punta Paloma, PGI, Informe final 2017-2018, Dirección General de Bienes Culturales, Consejería de Cultura, Junta de Andalucía, 57 p.
Borau L. 2019 : « Water management and steep gradient: the example of the roman city of Baelo Claudia (Spain) », in Aquam Ducere III, DBS edizioni Seren del Grappa, p. 15-26.
Borau L. Trémeaud C., Bernier M., Coutelier C., Comte F. 2019: Prospecciones sobre las estructuras hidráulicas extra e intramuros. Análisis arquitectural y geológico. Estudio del mobiliario arqueológico, PGI, Informe final, Dirección General de Bienes Culturales, Consejería de Cultura, Junta de Andalucía, 64 p.
Borau L., Mège C. 2014 : Agua y acueductos romanos a Baelo Claudia (Tarifa, Cádiz), Actividad Arqueológica de Prospección, Informe. Dirección General de Bienes Culturales, Consejería de Cultura, Junta de Andalucía, 82 p.
Borau L., Mège C. 2017 : « L’eau dans la fabrique de la ville », Mélanges de la Casa de Velázquez, 47-1, 97-120.
Borau L., Trémeaud C., Bernier M., Coutelier C., Comte F. 2018 : Sondeos arqueológicos: Acueducto de Punta Paloma, PGI, Informe final 2017-2018, Dirección General de Bienes Culturales, Consejería de Cultura, Junta de Andalucía, 57 p.
Borau L., Trémeaud C., Bière Y. 2016 Sondeos arqueológicos: estudio de las redes hidráulicas romanas de Baelo Claudia (Tarifa, Cádiz). Pozos de resalto y canales » Actividad Arqueológica puntual, Informe preliminar, Dirección General de Bienes Culturales, Consejería de Cultura, Junta de Andalucía, 56 p.
Fernández Casado C. 1972: Acueductos romanos en España, Madrid, Instituto Eduardo Torroja, 1 vol.
Fernández Casado C. 1983: Ingeniería hidráulica romana, Madrid, Colegio de Ingenieros de Caminos, Canales y puertos, Ediciones Turner, 674 p.
Jiménez A. 1973 : « Los acueductos de Bellone Claudia (Bolonia, Cádiz) », HABIS 4, p. 273-293.
Paris P. et al. 1923 : Fouilles de Belo (Bolonia, province de Cadix).I. La ville et ses dépendances, Paris, De Boccard, 188 p.
Pelletier A., Paillet J.-L., Dardaine S., Lancha J., Fincker M., Sillières P. 1987 : Belo : le temple d’Isis et le forum, MCV 23, p. 65-105. Sillières P. 1995 : Baelo Claudia, une cité romaine de Bétique, Collection de la Casa de Velázquez, 51, 235 p.